27 juillet 2024 –
La fleurettiste montbéliardaise Eva Lacheray, 24 ans, entre en scène dès ce dimanche 28 juillet dans le cadre prestigieux du Grand Palais, à Paris. Elle participera, au cours de ces Jeux, à l’épreuve individuelle et à l’épreuve par équipe filles. Jean-Louis Petitot, son entraineur de toujours, connait la jeune athlète mieux que personne. Il nous raconte « son » Eva.

Les débuts
« A 9 ans, elle est arrivée à l’ASCAP escrime. Son frère ainé William faisait de l’escrime, je l’avais eu avant elle. Eva faisait de la danse, mais quand elle a vu qu’il gagnait des compétitions, elle voulait des coupes aussi ! C’est pour ça qu’elle est venue, pour imiter son frère. A l’époque, les séances se déroulaient dans des locaux préfabriqués, non loin du stade Bonal. C’était bien, nous avions de la place, nous étions chez nous. Et un jour, ils ont été grêlés, alors nous avons emménagé dans un vieux bâtiment de Peugeot. Puis la Ville de Montbéliard nous a attribué une salle à l’Axone (NDLR : qui a été mise en service en 2009), où les conditions d’entrainement sont correctes. A ses débuts, Eva a intégré un groupe d’entrainement avec d’autres enfants. On a vu tout de suite qu’elle était au-dessus, même si elle n’a jamais été très rapide. En revanche, elle a toujours eu une bonne vision du jeu, au-dessus de la moyenne.

La première compétition
Première compèt’, première victoire, à Guebwiller (Haut-Rhin) ! Je me souviens bien. Elle avait peut-être deux mois d’escrime. Elle avait tout perdu en poule, était venue me voir en pleurant. J’ai essayé de lui remonter le moral et en phase éliminatoire, elle a tout gagné ! Ensuite, elle a rapidement gagné toutes les compétitions.

 

Eva Lacheray à 9 ans, lors de ses débuts dans l’escrime, après avoir essayé la danse – Photo DR

Eva Lacheray, fleurettiste de Montbéliard sélectionnée pour les Jeux Olympiques 2024 - DR

La formation
Elle était très discrète. Elle ne parlait pas beaucoup mais était travailleuse et forte mentalement. A cette époque, on avait un bon groupe de filles, dont certaines tournaient dans le top 10 français. Eva n’était pas la meilleure du groupe car elle avait un peu de retard physiquement et elle était plus jeune que les autres. Mais c’était sa chance : elle a été tirée vers le haut. Et elle était bien maligne. Elle voulait gagner. Physiquement, elle était un peu maigre, d’autant plus qu’elle a grandi tôt. Même si une grande ne tire pas de la même manière qu’une petite, cette croissance rapide ne l’a pas trop dérangée car son jeu n’était vraiment pas basé sur le physique. Elle n’a pas été perturbée. Eva est gauchère, et chez les jeunes, c’est toujours un avantage. Après, ça l’est moins.

Eva, à 16 ans, après une victoire sur le circuit cadet à Chilly-Mazarin (Essonne) - DR

Eva, à 16 ans, après une victoire sur le circuit cadet à Chilly-Mazarin (Essonne) – DR

La progression
Il y a toujours des paliers à franchir. Assez tôt, je me suis dit qu’elle irait loin. Alors qu’elle était benjamine, elle était double surclassée ! Une année, elle a fait quart de finale des championnats de France dans la catégorie supérieure. Puis elle est devenue vice-championne de France junior alors qu’elle n’était que minime 2 ! Puis en cadette, elle a remporté ses premiers « France » à Compiègne et à partir de là, elle gagnait à chaque fois.

Les débuts internationaux
Elle a intégré l’Equipe de France après son titre de championne de France cadette mais a eu un peu de mal à appréhender le niveau international. Ça a été compliqué, elle a mis du temps à performer. Dans les grands championnats, c’était dur.

L’explosion
Elle a vraiment explosé en junior 1re année, avec une 5e place aux championnats d’Europe et sa première médaille, en bronze, aux championnats de monde.

Le trou d’air
En junior 2, là, c’était très compliqué. C’était l’année du bac, qu’elle a obtenu. La Fédération voulait la faire entrer à l’INSEP*, à Paris, mais nous, on pensait qu’elle était trop jeune. Elle a pris une année sabbatique pour se consacrer pleinement à l’escrime. En fait, ça n’allait pas. C’est difficile de s’entrainer seule, elle n’arrivait pas à se bouger. On faisait de la préparation physique le matin et un entrainement l’après-midi. Elle ne faisait que ça et mentalement, c’était dur.

Le rebond
La saison suivante, elle a repris ses études, à Belfort, et est revenue en grande forme. Elle était monstrueuse. En junior 3, elle est devenue numéro 2 mondiale. On l’a alors programmée pour être championne du monde, mais…

Le Covid
On n’a pas pu décoller pour les championnats d’Europe et les championnats du monde ont carrément été annulés. On allait s’entrainer de temps en temps à l’INSEP… Puis lors d’une compétition senior à Bordeaux, elle perd d’une touche contre Ysaora Thibus en finale. Cela nous a bien reboosté.

Le nouveau rebond
Elle avait les Jeux de Tokyo en ligne de mire mais n’a pas été sélectionnée. Là, on s’est dit « si on veut faire les Jeux, il faut intégrer l’INSEP ». Elle y est donc entrée en septembre 2023 et cela a été payant. Aujourd’hui, on a un fonctionnement qui marche. Je monte parfois à l’INSEP, où j’ai de bonnes relations avec Yann Detienne, l’entraineur national. Cela permet d’échanger, c’est bon pour tout le monde.

Le club
Hors vacances scolaires, Eva revient à Montbéliard, toutes les deux semaines. Quand elle passe au club, elle s’entraine normalement, avec les autres. Elle donne des conseils aux petits, pas de soucis. Ici, tout le monde la connait comme une partenaire de club. En revanche, lorsqu’elle nous accompagne pour arbitrer sur des compétitions, les enfants des autres clubs lui demandent parfois des autographes. Il faut jouer le jeu, ça fait partie du package quand on a ce niveau.

La famille
La maman d’Eva est la secrétaire de notre club. Elle et son mari tiennent une boulangerie à Montbéliard. Ils n’ont pas d’antécédents sportifs particuliers. Ils sont évidemment très fiers mais elle préfère qu’ils ne la suivent pas trop lors des compétitions, qu’ils la laissent gérer tout ça. Mais là, ils sont venus avec moi à Paris et la boulangerie « La Comtoise » a fermé une semaine.

Un pronostic ?
Je suis son entraineur, je suis obligé d’y croire. Je pronostique deux médailles d’or (rire) !  Physiquement, elle sera prête le jour J, même si c’est la première fois qu’elle fait une saison aussi longue. Mais ça vaut le coup ! Mentalement, elle est prête aussi, c’est le plus important. Par équipe, ça sera difficile avec la concurrence et notamment les Italiennes. En individuel, tout peut arriver, même si Eva n’est pas favorite, c’est clair. Mais il y a une vraie possibilité. Elle va certainement entrer en lice en 16e de finale. Il y a quatre matches à gagner pour être médaillée. »

Eva, à 18 ans, lors d'une compétition internationale à Katowice (Pologne) DR

Eva, à 18 ans, lors d’une compétition internationale à Katowice (Pologne) – DR

*Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance. C’est un établissement public, placé sous la tutelle du ministère des Sports, situé sur un site de 28 hectares au cœur du bois de Vincennes, qui accueille les sportifs de haut-niveau, toutes disciplines confondues, et les accompagne en matière d’entraînement, de suivi médical, de recherche, de psychologique, de formation et de reconversion professionnelle.

Un couple entraineur-entrainé qui dure

Jean-Louis Petitot, 36 ans, se décrit comme un ancien escrimeur de petit niveau international. Il tirait à l’ASM Belfort, devenu maintenant Belfort escrime. Il a obtenu quelques médailles en coupe du monde mais jamais de sélection en Equipe de France A, avant d’arrêter la compétition en junior. Etudiant en géologie à Besançon, il donnait des cours aux petits, aimait bien ça et un jour, le club de Montbéliard, qui cherchait un entraineur, lui a proposé de lui payer sa formation et de l’embaucher ensuite. Il est aujourd’hui maitre d’armes, diplômé d’état. Et toujours aux côtés de Eva, 15 ans après les débuts de la Montbéliardaise.